A peine avons-nous soufflé après le passage de la frontière, voilà que les gardes-frontières bulgares nous tombent dessus.
Nous avons subi des sévices et le pire des traitements, on nous a roués de coups de matraque et de coups de pied, j’en garde les séquelles jusqu’à aujourd’hui», témoigne Samir, de Boumerdès, 23 ans, rencontré à Sofia.
Traverser la frontière turco-bulgare est un risque que doivent absolument prendre les harraga et ce n’est pas toujours gagné d’avance, même avec les passeurs. Les témoignages corroborent et dénoncent les traitements inhumains des Bulgares. Un pays qui, le 1er janvier prochain, rejoindra officiellement l’Union européenne. Malika Benarab-
Le centre de Busmantzi, dans la banlieue proche de Sofia, créé en 2006, était pointé du doigt par des associations de défense des droits de l’homme, notamment Migreurop et le Comité d’Helsinki, depuis 2008. Face au rush des migrants clandestins, la Bulgarie semble dépassée et n’arrive pas à subvenir aux besoins des détenus.
Nous réussissons à nous infiltrer à l’intérieur avec le concours d’une association d’aide humanitaire. Un mur encercle les lieux, doublé de fils de fer barbelés. Grâce aux aides, les autorités ont équipé le centre en appareils de chauffage, chaque lit est adossé à un chauffage. Ce jour-là, des soupes et du pain, des fruits et du fromage sont servis aux détenus par l’association. Une bénévole confie que depuis quelques semaines, face aux pressions européennes, «les responsables tentent d’améliorer les conditions de vie des détenus dans la perspective d’une visite des députés européens».
Les témoins encombrants, des «harraga torturés» comme le montrent des photos, ont été transférés vers un autre centre, tenu secret pour l’instant. Halim, la vingtaine, désespéré, a tenté de se suicider il y a quelques jours. Mais grâce à ses amis, il arrive à tenir le coup. «Je veux rentrer au pays, mais l’ambassade ne fait rien. L’autre jour, un responsable nous a rendu visite et n’a rien fait», révèle-t-il. Halim est détenu depuis le 18 septembre. Sa silhouette frêle, son visage pâle, sa voix éteinte renseignent sur son drame. «Ils m’ont tabassé et à chaque fois que je me plains ou que j’ose dénoncer ces pratiques, la réponse est brutale», témoigne le jeune harrag.
Retour à Vitosha où nous rencontrons Samir, Mourad, Rafik, trois ex-détenus des centres de rétention, qui racontent leur calvaire : «Nous sommes passés par trois centres avant d’arriver à Sofia. Toujours les mêmes pratiques, à la limite de la torture. Nous sommes systématiquement déshabillés, interrogés violemment, laissés sans eau ni nourriture.» Selon nos interlocuteurs, les Maghrébins subissent un traitement particulier qualifié d’inhumain. «Un policier m’a même traité de terroriste, de chien arabe», atteste Rafik. Samir a certainement subi l’humiliation, il a été victime d’attouchement sexuel. En aparté il nous raconte son histoire, les larmes aux yeux : «Un soir, un gardien s’est approché et a voulu abuser sexuellement de moi, j’ai protesté et il m’a roué de coups.» «Le lendemain il est revenu à la charge, cette fois épaulé de deux autres agents et ils ont tenté de me violer», ajoute-t-il. Le jeune homme de 18 ans interrompt la discussion et nous quitte, effondré. Il ne serait pas le seul puisque, dans le milieu des harraga de Sofia, ce genre d’histoires est monnaie courante. Cependant, l’ambassade d’Algérie à Sofia ne répond pas aux cris de détresse lancés par ces jeunes, dont quatre parmi eux seraient morts. La dépouille d’un harrag a été rapatriée il y a un mois. Et le drame continue.
Zouheir Aït Mouhoub
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